Finances et production d’un anime

Encore aujourd’hui, il existe de nombreuses idées préconçues sur l’industrie de l’animation japonaise. Un animé sera assurément bon si tel studio s’en occupe, la qualité dépend du budget, les créateurs sont pleins aux as après une série à succès… Cela dit, là où ces idées sont les plus tenaces, c’est concernant le financement et la production des animés. Afin d’y voir un peu plus clair, je vous proposer d’élaguer tout ça.

L’origine des comités de production

Par le passé, les séries étaient financées par le studio d’animation et une chaine de télé. Avec l’augmentation des coûts et la diffusion de la majeure partie de ces séries durant la nuit, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Seuls les animés grands publics ou à destination des enfants sont encore diffusés à une heure de grande écoute, tandis que le studio ne prend plus en charge la production d’un animé, mais s’occupe seulement de la partie créative et artistique. S’il peut encore arriver qu’il soit à l’origine du lancement d’un projet, c’est plus généralement la maison d’édition ou un autre acteur qui en sera à l’origine. C’est là qu’entre en jeu le comité de production. C’est ce comité qui va planifier un animé et prendre les décisions relatives à sa production. Composé de plusieurs compagnies, il va permettre d’amortir les coûts et de réduire les risques éventuels, sachant qu’un animé de 12 épisodes coûte près de 2 millions d’euros en moyenne. Les compagnies impliquées sont généralement mentionnées dans les crédits de fin.

La composition d’un comité

Dans le comité de production, on trouve toujours plusieurs entreprises, chacune avec son domaine d’expertise, présente pour apporter son savoir-faire ou simplement par intérêt financier. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, un animé n’est donc pas la propriété du studio d’animation, mais bien de ce comité qui dispose des droits comme il l’entend. Parmi les entreprises impliquées on retrouve généralement des maisons de production comme Aniplex, l’éditeur original de l’œuvre comme Kadokawa, des fabricants de merchandising comme Bandai, des chaines de télé, des maisons de disque qui proposeront leurs artistes pour interpréter les génériques… Ces dernières années, on y retrouve même des diffuseurs étrangers tels que Crunchyroll, ce qui leur permet de devenir détenteurs des droits et non pas juste d’une licence leur donnant l’autorisation de diffuser la série. L’animé en question restera donc éternellement dans leur catalogue, contrairement aux autres titres dont il faut renouveler régulièrement les droits.

Les projets media mix

Le comité de production existe aussi pour chapeauter des projets media mix. Un des meilleurs exemples reste bien entendu la licence Pokemon. Marque la plus porteuse de l’histoire, son succès n’est pas sans lien avec ces projets media mix. Tout est calculé et planifié de sorte à ce que chaque nouvelle génération de jeu, animé, cartes et goodies paraisse dans une fenêtre réduite afin de créer une synergie entre chacun des produits. Or, cet impératif de temps peut aussi créer bien des problèmes, voire accoucher de séries aux épisodes bâclés. Dans le cas de Pokémon, c’est par exemple toute la ligue Orange qui a été créée dans l’animé parce que les jeux Or/Argent avaient pris du retard. A l’inverse, alors que la série Sun & Moon entamait déjà les épisodes de la ligue, les équipes de développement d’Epée/Bouclier étaient dépassées par la charge de travail, ce qui explique en partie la qualité tant décriée des opus Switch.

Les retombées économiques

Pour en revenir à ce qui nous intéresse, le succès d’un animé variera selon les attentes de chacun des membres du comité de production. Si l’œuvre originale connait un boost des ventes, la maison d’édition sera ravie. Si les jeux et figurines font de bonnes ventes, ce sera le fabricant. Si la série fait de bonnes audiences, les pages de pub profiteront à la chaine de télé, etc. En outre, on peut estimer l’investissement d’une compagnie en se basant sur le comité de production tel qu’il apparait dans les génériques de fin. Plus la compagnie est haute dans ce listing, plus elle aura investi gros, et donc plus elle touchera de bénéfices en cas de succès, que ceux-ci soient liés à la publicité, aux ventes de DVD, au merchandising, au simulcast, etc. D’autre part, c’est aussi elle qui aura le plus de poids dans les décisions prises durant la production et la création de la série.

La place des studios d’animation

Dans tout ça, il est rare que les studios aient une place importante. Généralement, ils ne font même pas partie du comité, faute de capital à apporter à la production. Ainsi, seuls des studios avec les reins assez solides peuvent se permettre de participer voire diriger un comité de production : Toei, Pierrot, Sunrise, Production IG, Kyoto Animation… Quant aux autres, ce sont de simples contractants dont la paie est comprise directement dans le financement de base de l’animé. Ces montants étant confidentiels, il est difficile d’estimer quelle part ils touchent en général. Dans tous les cas, s’ils ne font pas partie du comité de production, l’animé peut bien être un franc succès, ils ne toucheront généralement rien de plus.

Les problématiques présentes et futures

Une des idées reçues les plus tenaces concernant la production d’un animé est que sa qualité dépend de son budget. Or, les budgets restent relativement similaires d’une série à l’autre, même si on constate parfois des écarts assez grands. Le budget joue bien évidemment un rôle, mais ce qui fait la qualité d’une série, c’est avant tout son staff et son planning. Une production avec des animateurs mal formés ou devant travailler dans des délais très courts sera assurée d’accoucher d’une série de piètre qualité. Or, tandis que les projets de séries sont chaque année de plus en plus nombreux, les studios d’animation restent mal payés et toujours instables financièrement. Ils ont peu de membres fixes et vont surtout employer des animateurs free-lance. Situés tout en bas de l’échelle, ces animateurs se retrouveront généralement avec des conditions de travail abominables, des heures supplémentaires à n’en plus finir, l’obligation de dormir sur leur lieu de travail, une paie misérable, et un traitement sans égard aucun. Et ces problèmes systémiques, loin d’être résolus, sont mis de côté pour se tourner vers l’étranger. Les animateurs chinois ou coréens acceptent des salaires tout aussi bas, pour une qualité équivalente, tout en répondant à la demande de main d’œuvre croissante. En conséquence, sans passer par ce travail de petites mains, les animateurs japonais n’acquerront plus les bases nécessaires afin de devenir de futurs animateurs clés ou réalisateurs, voire se détourneront tout bonnement de la profession. A terme, on peut donc s’attendre à un appauvrissement du savoir-faire de l’animation japonaise, voire son transfert au profit de l’animation chinoise ou coréenne.

Notre rôle en tant qu’étrangers

Du côté occidental, nous sommes devenus un marché porteur non négligeable pour l’industrie. Ainsi, l’étranger représentait en 2019 la moitié des revenus totaux. Aniplex ne s’y est pas trompé en acquérant Wakanim. Avec un pied ici, ils peuvent jauger directement le marché, et un succès en streaming pourrait en théorie invoquer une suite, selon l’envergure de ce succès et les attentes des ayants-droits. Plus généralement, payer un abonnement à un site de streaming ne va pas directement aux ayants-droits japonais, mais permet surtout de renflouer le site de streaming pour l’achat de la licence de diffusion de la série. A notre échelle, nous avons donc un rôle à jouer, même si on peut penser qu’on ne représente qu’un grain de sable. Acheter des DVD, des goodies, payer un abonnement de simulcast, toutes les méthodes sont aussi valables l’une que l’autre pour soutenir l’industrie de l’animation japonaise dans son ensemble. En revanche, si votre objectif est de soutenir directement le studio d’animation à l’origine de votre animé préféré, mais qu’il ne fait pas partie du comité de production, c’est déjà plus compliqué. Cependant, ne vous y trompez pas, les comités de production contribuent tout autant à l’industrie et les séries que vous regardez n’existeraient pas sans les capitaux qu’ils apportent. Du reste, si vous souhaitez soutenir directement les animateurs, sachez qu’il existe des initiatives comme l’Animator Dormitory Project qui aide les jeunes créateurs à se lancer. En espérant que celles-ci ne servent qu’un temps, d’ici à ce qu’il y ait une prise de conscience du système et un changement des mentalités.

Sources : Journal du Japon, Wakanim, Nippon, Anime News Network, Association of Japanese Animations

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