La traduction comme réadaptation de l’oeuvre

Il y a peu, j’avais parlé des différences de medium entre animé et manga, et du fait qu’une adaptation de l’un à l’autre ne pouvait donner un résultat fidèle en tous points. Aujourd’hui, j’aimerais pousser la réflexion, mais sur le sujet de la traduction. D’une certaine manière, traduire une œuvre, c’est également proposer une réadaptation de celle-ci. Naturellement, je vais me focaliser sur le thème de la traduction de light novel, mais la réflexion s’applique également aux animés et aux mangas.

A mon sens, on peut diviser une œuvre littéraire en trois couches : histoire, événements et texte. C’est sur le texte qu’intervient le traducteur, puisque son travail n’est certainement pas de réinventer l’histoire ou de repenser les événements. Son rôle est de retranscrire en français l’œuvre imaginée par l’auteur, tout en s’attachant à conserver son style et sa structure. Or, dans ce processus, il va être amené à se réapproprier le texte. Ce n’est pas sans raison si le traducteur a aussi un statut d’auteur.

Traduire un texte en français depuis le japonais, ça implique de faire de l’adaptation, car les deux langues n’ont pas la même structure, et n’offrent pas les mêmes outils ou les mêmes éléments culturels pour composer un texte. Ainsi, on peut être amené à revoir les références typiquement japonaises, l’utilisation des différents syllabaires japonais, les jeux de mots et énigmes, mais aussi enrichir le texte de nombreux synonymes pour éviter les répétitions propres à la langue japonaise… Il y a nécessairement des choix d’adaptation à faire. C’est bien pour ça que pour une même œuvre, un traducteur différent pourra donner un texte très différent également. Et le degré d’adaptation va aussi dépendre de l’intention de l’éditeur, du public cible, etc…

C’est là que certains argueront que l’on peut contourner la difficulté avec des notes de traduction, afin de rester aussi proche que possible du texte japonais. Mais si une note peut se révéler intéressante pour le lecteur, elle vient toutefois avec son lot de contraintes. Faites le test : Regardez une vidéo en français avec des sous-titres. Vous aurez beau comprendre ce qui est dit, votre œil sera invariablement attiré par les sous-titres. De la même manière, faire une note, c’est prendre le risque de sortir le lecteur du récit. Dans l’idéal, j’estime qu’une traduction doit se suffire à elle-même. Si une note devait s’imposer, ce serait à la condition qu’elle reste à l’écart du texte, logiquement en début ou fin de volume.

Selon moi, il est donc utopique de s’attendre à retrouver une transposition exacte de l’œuvre d’origine lorsque vous lisez une traduction, puisque celle-ci doit s’adapter au public cible, et que vous n’êtes pas Japonais. Se complaire dans l’exotisme en laissant des termes non traduits, ce n’est pas proposer une traduction aboutie. Tout comme orner son texte de notes de trois kilomètres pour expliquer ses choix est une aberration. Ainsi, si une œuvre traduite ne pourra jamais restituer à l’identique l’expérience proposée par l’œuvre originale, vous pouvez considérer qu’une version française en est finalement une réadaptation au même titre que le serait un animé ou un manga dérivé de celle-ci.

PS : Faire une fixette sur les honorifiques, sous prétexte que l’on perdrait en subtilités, ça implique d’aller au bout de la démarche en gardant également toutes ces particularités propres au japonais et intraduisibles telles quelles. Cela comprend donc les particules de fin de phrase (wa, yo, ne…) qui sont des indicateurs du locuteur, les éléments culturels purement japonais (konbini, onsen, onigiri…), les furiganas qui donnent parfois un second sens aux kanjis, etc… Ainsi, « boule de riz » ne permet pas de savoir qu’il s’agit d’un amas de riz rond en forme de triangle avec une feuille d’algue et parfois fourré. Mais est-ce bien essentiel à votre compréhension de l’œuvre… ? Encore une fois, si vous voulez une expérience la plus proche possible de la version originale… eh bien, prenez la version originale. Mais n’allez pas considérer les mangas, animés ou LN comme des cours de langue et de culture, car ce n’est absolument pas ce qu’ils sont censés être.

Laisser un commentaire